Guy Hamilton garde les rênes de 007 après être revenu dans la saga via le très mauvais Les diamants sont éternels. Le changement consommé de décennie, un nouveau visage pour Bond, la blaxploitation naissante ou bien encore une certaine libération des mœurs vont-ils le conduire à un retour aux sources du fantastique Goldfinger ou à une refonte complète du personnage de James Bond ?
Ce Vivre et laisser mourir commence sous de très bons auspices via une série de meurtres n’ayant à priori rien à voir entre eux si ce n’est qu’ils sont toujours commis par des noirs. Les mises à mort , à défaut de nous transporter dans des horizons de torture encore inconnues ont du moins le mérite de jouer l’originalité de la mise en scène et de laisser planer dans la salle (ou la chambre, ou au bureau selon où vous regarderez cette aventure) quelques bonnes images avant le fameux générique. On retiendra particulièrement l’effroi véritable de l’agent Hamilton (caméo indirect bien évidemment qui aurait été encore plus savoureux si le réalisateur avait décidé de le jouer lui-même) qui finit par mourir suite à la morsure du serpent , celui qui semble être en plastique (et dont on retrouve la version en peluche dans un magasin vaudou quelques minutes plus tard). Scène d’autant plus marquant après coup que l’acteur en question s’est véritablement évanoui durant la scène.
Sur ces quelques points, on se dit satisfait et on se plaît à voir un hommage au premier Bond quand l’enterrement de la Nouvelle Orléans débute par trois noirs sortant d’un coin de rue et traversant un passage piéton, peut être clin d’œil au trio d’assassins de Dr No, eux aussi au nombre de trois et traversant également un passage piéton. Mais bon, j’extrapole peut être un peu aussi… (D’aucuns diront même beaucoup…)
Le générique débute et là aussi , c’est une belle surprise. Maurice Binder reste toujours aussi expérimental dans le choix de ses matériaux de fond (crâne en polystyrène, fibres optiques en bouquet……) mais conserve un goût sûr quand au choix des femmes qui animeront ces quelques minutes. La caméra suit amoureusement de magnifiques courbes d’ébènes sur une musique tranquille (to liiiiiiiiiiiiiiiive ant let die) d’apparence qui s’emballe brutalement, nous offrant au passage l’un des meilleurs génériques de Bond (avec Goldfinger, Au service secret de sa Majesté, Dangereusement vôtre ou bien encore ….. je vous laisse conclure cette liste à votre guise). On s’installe de fait confortablement et on se prépare à vivre un bon moment. De toutes façons, comment faire pire qu’avec les Diamants (qui aurait du s’intituler « Les biftons aux couleurs sans pareil » vu que le film a commercialement été détruit par un trop plein d’argent, en commençant par le salaire de Connery et tout ce qui a été vu dans le précédent loupe.) ?
De plus, la dernière fois que Bond a changé de visage, la saga avait alors réussi le tour de force d’être tout à fait dans le ton de l’époque tout en dépassant le côté kitsch du personnage et en développant au maximum ses personnages.
De nouveau Bond justement…. Roger Moore est bien connu du public pour son personnage de Simon Templar (dont il cache formidablement bien les tics et manies de langage ici) donc à priori , la transition devrait s’effectuer plus en douceur avec le public que lors du passage de Lazemby… mais on rompt du même coup avec la tradition d’embaucher un parfait inconnu pour le rôle (d’un autre côté, on a échappé à Burt Reynolds (pour les plus jeunes, c’est le méchant-pas-bô patron d’écurie de Stallone dans Driven… pour peu que les plus jeunes aient vu ce petit joyau de série B bien évidemment) qui aurait alors achevé l’entreprise d’amércianisation de la licence enclenchée avec le précédent opus (vous savez bien, « Les bouts de charbon brûlent pour l’éternité » . On relèvera à peine le nouveau visage de Bond lors du fameux logo type et toute la sophistication de la présentation de Lazemby dans Au service…. Est oubliée au profit d’un gros plan d’une espionne italienne lovée sur la poitrine de Moore. Pourquoi entretenir le mystère de toute manière ?
Bref le film reprend sur l’une des activités préférées de Bond et avec une dérive amusante de la fameuse présentation de mission dans le bureau de M. Quitte à changer les habitudes, autant tout reprendre à fond et c’est donc M qui se déplace chez 007 … nous permettant de faire connaissance avec son appartement. Cela n’a peut être pas beaucoup d’importance à vos yeux mais ce petit passage permet d’ancrer plus profondément Bond dans la réalité de tous les jours. Jusqu’à maintenant, il débarquait au MI-6 où partait directement en mission en dormant dans des trains, des hôtels, des cellules ou des QG ennemis. Le fait de lui donner un nid permet de démontrer que l’agent possède une vie propre au-delà du monde de l’espionnage …. bien que ses activités ne diffèrent pas tant qu’en mission.
Ni une, ni deux, grâce au pré-générique , la mission est lancée par M et Money Penny (qui apporte les billets d’avion tout en tirant James d’un mauvais pas) sans fioritures, allant même jusqu’à laisser Q de côté, celui-ci étant à peine mentionné. On se dit alors que les gadgets appartiennent au passé, que Moore va offrir une prestation plus musclée et mature, faisant d’autant mieux passer le coup du bouclier magnétique hyper densifié de la montre de celui-ci (car au niveau physiologique, je ne suis guère convaincu d’une absence de risques, mais bon.)
Bien sûr, Moore n’est pas Connery ou Lazemby et s’approprie jusqu’à maintenant le rôle de manière plutôt agréable. La démarche est sûre, il relève physiquement le niveau par rapport à Connery dans « Les cailloux ne brillent qu’à la lumière » et accentue le côté cynique du personnage avec une désinvolture non châlante qui ne peut que fonctionner auprès de la gent féminine. Seule ombre au tableau, on peut légitimement se demander s’il restera tout aussi crédible avec une arme et l’obligation (inscrite dans le cahier des charges) d’user de sa licence de tuer…
Las le bât blesse à ce niveau. Si on passe sur la voix française qui dénature le timbre originel de Moore, ayant de fait une furieuse tendance à délégitimer les actions musclées de 007, on ne peut pas dire que Bond soit particulièrement meurtrier dans cet opus. Où est passée la froideur de Connery dans Dr No quand il tue de sang froid un homme désarmé ? Que reste il de l’efficacité glacée de Lazemby dans Au service…. ? Moore ne tue pas ou presque. Il assomme, étourdie, menace mais n’agit pas. Des fans avertis revendiqueront le passage de la cérémonie Vaudou ou bien l’exécution cartoonesque de M Big… OK. Cependant, quatre minutes sur près de deux heures de film, c’est assez peu en vérité.
Mais fi de toutes ces considérations et pour ceux qui ont eu le courage d’arriver jusqu’ici, reprenons le métrage après cette amusante mise en bouche peu solennelle. Bond part donc en mission. Il prend l’avion, arrive à l’aéroport et malheureusement, le spectateur lambda ne peut que décrocher à partir de maintenant. Jusqu’à la scène de la ferme aux crocodiles (soit environ une heure plus tard) , on assiste à une véritable bérézina artistique et scénaristique. Le film n’est alors composée que de saynètes disposées les unes à la suite des autres du genre de la série pour enfant (aux illustrations réussies au demeurant) Martine. On a de fait : 007 prend un taxi et s’empare du volant à la mort de son chauffeur, 007 passe une première fois dans le bureau du méchant, 007 réussi à s’enfuir, 007 bricole avec une fausse agent de la CIA, 007 retrouve son vieux copain Félix (encore joué par un autre acteur, le rôle devant être maudit) , 007 repasse chez le méchant, 007 s’enfuie à nouveau, 007 bricole avec la pépé (je cite une expression du film) du méchant, 007 arrive sur l’île du méchant (comme c’est original ! Dr No avait la sienne, Blofeld aussi, Goldfinger sûrement mais on avait eu la courtoisie alors de ne pas abuser de ce ressort scénaristique) , 007 visite la ferme des crocrodiles, 007 s’enfuit (again) , 007 va dans le repaire trop top secret avec plein de passages du méchant, 007 s’en sort ….. le tout entrecoupé de trois quatre cérémonies vaudou.
Le décor est planté, « Vivre (cela devient difficile devant tant de banalité) et laisser Moore-ir » (qu’ils y passent tous, qu’on en finisse) devient alors rapidement « Dormir et laisser finir » et représente en fait un immense recyclage de tous les éléments marquants des dernier Bond. Ainsi, les décors jamaïcains renvoient à Dr No, la poursuite en bateau à Bons Baisers de Russie et dans une moindre mesure à Opération Tonnerre auquel on emprunte également l’une des ficelles les plus énormes de cet opus, l’utilisation des requins pour justifier les balles à air comprimé, l’organisation criminelle de M Big renvoie au Spectre (un ennemi sans réseau n’est pas un véritable ennemi et comme les Klingons ou les Borgs pour Star Trek, inventer un némesis du niveau de Goldfinger ou de Blofeld (les versions datant d’avant « Les rocs se cassent à tire d’aile » bien sûr) ne se présente pas tous les jours.
Tous les éléments de base de 007 se retrouvent quand à eux massacrés à un point tel qu’on fini par croire que c’est fait exprès. La mission tout d’abord. Jusqu’à maintenant, les enjeux étaient de taille planétaire qu’il s’agisse de la volonté du Spectre ou d’un mégalomaniaque, le tout souvent sur fond de Guerre Froide. Les moyens employés restaient souvent novateurs : manipulation à l’échelle spatiale, bio-terrorisme, usurpation d’identité à l’échelle d’une ville, clonage et j’en passe. Ici , on a un Mr Big, chef de quartier qui veut inonder le marché avec des échantillons gratuits d’héroïne avant de prendre les rennes de l’économie de la drogue. Une banale histoire de came en somme. Goldfinger aussi privilégiait son égo et bien être personnel mais en prenant le problème à l’envers avec Fort Knox, il s’assurait d’un aura de génie criminel.
Un bon méchant se distingue aussi par un phrasé ou une conception particulière de l’humanité. Dr No se considérait comme un génie s’étant offert à ceux qui reconnaissaient son mérite et avec un passif lourd de sens asseyant son personnage dans le présent, le Spectre via ses différents sbires présentait une galerie de méchants charismatiques jusqu’à l’arrivée de Blofeld himself qui atteignait une certaine tonalité épique avec Savalas et la fameuse scène finale avec la mort de Tracy et Goldfinger n’est plus à présenter. M Big est vulgaire, puéril et réussit la gageure d’être moins terrifiants que ceux qu’il emploie.
A ce titre, la réussite est totale avec Tee Hee, colosse au bras d’acier et au crochet plus qu’efficace ou encore avec le personnage de Baron Samedi qui reste entouré de mystère pour chacune de ses apparitions (dans le culte vaudou, il s’agirait de l’ esprit de la mort et de la résurrection (y compris dans le magnifique plan final complètement raté d’un point de vue scénaristique mais très réussi d’un point de vue cinématographique).
Un Bond doit aussi présenter un éventail de JBG intéressant. Pour sûr, Vivre et laisser mourir ne se refuse rien avec Rosie et Solitaire. Mais la première est d’une (n’ayant pas peur des mots) connerie confondante et on est heureux de la voir se faire dézinguer par son propre patron tant ses « hi » « ho » ou bien encore « ne me laissez pas seule car un vilain m’a ensorcelée » son crispants. La seconde quant à elle est un ratage total, bien que Jane Seymour n’y soit pas pour grand-chose, ne pouvant faire qu’avec ce qu’elle a. Avec un passé aussi mystérieux (un pouvoir de divination se transmettant de mère en fille), des accessoires qui parviennent à capter l’attention des caméras et des spectateurs (les cartes, of course, oublions de suite le déguisement stupide allant de pair avec le trône), une position psychologique rare (en comparaison avec « Les rubis sont passés à la Javel » et J. St John ou Abondance Delaqueue (sic)) qui lui aurait permis de tirer son épingle du jeu, le scénariste n’a rien trouvé de mieux que d’en faire un préadulte postpubère nunuche et soumise qui ne se sent heureuse qu’une fois dans le film, à savoir sur la couchette de Bond (« je me sens enfin femme »). Désolant et regrettable.
Mais bon, la scène de la ferme des crocodiles (soyons un peu plus mature maintenant) permet de croire un instant que tout ce que nous venons de voir n’est qu’un cauchemar. L’action et le sadisme qui manquait jusque là pointent le bout de leur museau et on se surprend à croire que Peter Hunt ou Guilbert ont laissé Hamilton dans le désert du Nevada avec les scorpions du précèdent opus (je suis à court de jeux de mots pour le coup … ) pour reprendre tout ça en main. On oubliera alors aisément la scène un peu futile de l’aéroport où Bond aux commandes d’un avion école essaie de semer ses poursuivants. C’est sûr qu’en tournant en rond dans un lieux clôt , avec une débutante ayant dépassé la limite d’âge d’au moins cinquante ans et le tout en bousillant ses ailes ne pouvait guère se révéler bien efficace… Les crocos donc offrent enfin à Bond l’occasion de se dérouiller et de prouver qu’il peut physiquement être aussi performant qu’en société avec ses réparties (les dialogues dans ce film sont d’un nullité abyssale et nuisent pour ma part grandement à l’action , sans compter que les noirs passent souvent et à tort pour des abrutis (le chauffeur de taxi) ou des superstitieux doublés de lâches. On sent alors la volonté de la production de surfer le succès de la vague blaxploitation. Mais le faire de cette manière démontre un manque de respect total pour une communauté qui saura heureusement se faire valoir avec d’autres productions. L’adage « le méchant est un noir donc il meurt à la fin » et « Bond qui est un WASP survit logiquement » est désolant. Le même panel d’acteur aurait pu être gardé mais en leur apportant de la profondeur de jeu ou en les démarquant volontairement, ce qui aurait permis au film d’atteindre des sommets. Dommage que toute la clique de vilains n’aient pas été aussi efficaces que Tee Hee ou Baron Samedi. Quand on voit Rosie ou Murmure, on pleure. ).
Bond donc, s’en sort en utilisant un stratagème de Castor Junior (les crocos sont par hasard alignés de mon bout de terre au ponton. Que faire ? Marcher dessus ? Bon sang, mais c’est bien sûr!) et file en hors-bord pour une course poursuite qui promet d’être passionnante et qui pourrait faire tomber dans l’oubli collectif la scène de voiture de la mission précédente (celle ou Connery parvient à passé d’un côté à l’autre sur les deux roues de sa voiture dans une impasse si étroite que même la batmobile de Batman Returns serait restée coincée malgré sa version suppositoire). On se réinstalle, on met sa main dans le pot de popcorn (qui est resté plein puisque depuis le début, on lutte pour ne pas s’endormir) et la bouche pleine et les lunettes pleines de traces de doigts, on attend fébrile. Le fait que les bateaux soient amphibies et coursent aussi bien sur terre que dans les eaux du bayou n’est qu’un détail improbable qui est accepté d’office, du moment que le rythme est maintenu et la poursuite nerveuse.
Que voit on arriver alors ? Le cousin du flic qui essaie d’arrêter Zod, Ursa et Non dans Superman II. Non seulement, on se demande comment il a pu endosser l’uniforme avec un ventre et un QI pareil (sa conversation doit être aussi passionnante que la chique qu’il crache continuellement au sol) mais de quelle manière Hamilton a récupéré son fauteuil de réalisateur ! Le « sheriff » Pepper casse à la fois le rythme, la tension, noie les enjeux de survie de Bond et les prouesses des cascadeurs dans un tsunami de phrases grotesques et d’interventions impromptues censées ralentir les coureurs. On jette son pop corn par terre, on hurle au désespoir (quitte à passer pour un lycanthrope devant une lune dans sa phase gibbeuse) et on prie pour que le final soit dantesque (type super héros avec le gars en collant du jour réalisant l’inimaginable pour sauver la planète).
Bond parviendra t il à distancer ses poursuivants avec un réservoir qui finira forcément par se vider à un moment où à un autre ? Le casque audio survivra t il au-delà de la vision de ce film malgré les nombreuses gesticulations de son propriétaire (c’est une version sans fil mais quand même) ? Le voisinage défoncera t il votre porte devant tant de bruit ou se joindra t il à vous quand il verra ce que vous regardez (pour peu que le dit voisinage soit fan de 007 … et pas de 300 !) ? Le méchant aura-t-il droit à une mort digne de ce nom ?
La réponse est non pour la dernière question. Le QG du bad guy n’a aucune envergure et sent le carton pâte à plein nez au point que le décor du Gardien de l’Univers dans Star Trek classique paraît réellement être en cristal (un peu de pub pour les prochaines loupes ne peut pas nuire) et sa mort sous l’emprise d’une balle à air comprimé est d’un grotesque sans nom qui aurait bien fait rire Benny Hill tant la situation paraît peu crédible et tant le manque de moyen (pour un Bond !) paraît probant. Je laisse l’une des images ci-dessous parler pour moi.
Que reste il à sauver de ce naufrage généralisé ? Un Moore porteur d’espoir quand à la poursuite du rôle (j’ai bien dit espoir, je n’ai pas dit un acteur en pleine possession de son personnage) , un générique novateur faisant entrer la licence dans les 70’s et des crocodiles. Un peu maigre n’est ce pas. Et ce n’est pas le sursaut final dans le train qui pue à 30 000 mètres la resucées de deux scènes extraites de Bons Baisers de Russie et des Diamants sont éternels (le seul bon moment d’ailleurs, cette affrontement dans l’ascenseur) qui sauvera l’ensemble.
La licence aurait pu être relancée pour de bon, avec une refonte totale à l’image d’Au service secret … ou du récent Casino royale. El lieu et place de cela, peau de zob. Bond s’humanise, démontre qu’il n’aime pas tuer (alors que cela ne semblait guère gêner les « deux autres types » pour reprendre une célèbre punchline), qu’il désamorce plus souvent une situation de crise en verbiage inutile plutôt qu’en agissant et que la pauvre Tracy semble complètement oubliée vu à la vitesse à laquelle Bond change de couche et de partenaire.
Un cale meuble de plus en somme.